A ce moment-là, des centaines de gens rêvaient strictement la même chose, chose parfois banale, parfois au contraire tout un peuplement de poissons géants à face d'homme. Par vagues successives, ces rêves se sont implantés dans certaines régions, particulièrement humides, s'épanouissant au printemps, un peu moins actifs en été (plus répétitifs), pour se dissoudre à l'automne et être totalement absents en hiver.
On en a déduit qu'il s'agissait de plantes de rêves, ou pour dire ça plus proprement, de rêves sous forme botanique. La bonne santé de ces arbres de rêve était démontrée par leur persistance, leur croissance d'année en année. De fait, certains rêves grandissaient nettement, gardant thématique, forme, mais gagnant en précision, détails, richesse, ambiguïté, émotion. On pouvait assister, dans quelques villages reculés, à des réveils simultanés d'enfants qui hurlaient pour se débarrasser d'une main géante qui voulait les écraser, ou des femmes gémir en chœur dans les étages élevées des grandes villes, dans des rêves dont elles gardaient le contenu secret. La maturité d'un rêve collectif était environ 45 ans, ce qui tend à les assimiler aux arbres.


Un esprit chagrin a voulu s'en débarrasser, en faisant campagne contre eux en prétendant qu'il s'agissait de mauvaises herbes mentales et autres oiseuses considérations pseudo morales. Il a ainsi utilisé un désherbant violent : à heure fixe il a fait sonner les sirènes de la ville, réveillant de force les habitants, afin de briser peu à peu les branches du noble végétal intérieur. En effet, au bout de quelques semaines, il ne restait plus que quelques branches éparses qui traînaient au fond des consciences, et personne n'était plus capable de raconter quoi que ce soit de commun le matin au boulot.