Dans cette période, la réglementation organisée par le préfet Repher en 239 AG prévoyait aussi l'interdiction de la répétition des sons. Comme on peut l'imaginer, la contrebande se développa rapidement : des bouges infâmes en firent leur spécialité. On se précipitait dans ces trous sordides pour absorber un alcool de mauvaise qualité, et se ruer sur quelques instruments de fortune mis à disposition des consommateurs.

A défaut, on criait, ou se servait de son corps comme percussion.
Là, pendant des nuits entières, des salves d'accords obstinément et identiquement répétés, de séquences complètement monomaniaques se déroulaient dans des transes obscènes. Des back-rooms étaient disponibles où des clients particulièrement fortunés pouvaient entendre des heures durant une femme (ou homme ou les deux, selon les goûts) taper avec une régularité parfaite sur un modeste tambour.

C'était vraiment dégoûtant.

Les quelques pianos restants voyaient quelques-unes de leurs touches, le moins possible, usées, abimées, creusées, par ces acharnés de la note répétée, signant par là même leur culpabilité.
Le plus raffiné a été la transformation de salons de massage en lieux de débauche ou des petits coups sonores répétés sur le corps se faisaient payer des sommes colossales.

Oui, c'est l'association d'un petit son, médiocre certes, mais répété, oh oui répété ! avec la sensation physique, elle-même répétée, qui lui donnait ce prix !
C'est que la répression était féroce : lorsqu'un de ces lieux était découvert par la police, les consommateurs étaient emmenés et jugés sommairement pour être emprisonnés de longues années. Dans les cas les moins graves, on leur apprenait l'arythmie au cours de stages de formation/éduction/correction. Mais la réinsertion était difficile de toutes façons, et la plupart échouaient dans des demis-orchestres de villes côtières, qui jouaient des œuvres brèves d'un sérialisme aussi rigoureux que possible. Beaucoup d'entre eux moururent au bagne, disparurent de nuit, ne réapparurent jamais, ou bien hagards, clochards hâves, comme André R. réapparaissaient dans leurs salons de massage d'où ils étaient bannis, dansant tristement sur un rythme cahotique entendus d'eux seuls, dont la répétition approximative évoquait de hautes et lointaines fêtes de l'esprit.

Quelle était, au fond, la position de l'Etat dans ce décret, dit le décret Repher ?


Il ne s'agissait pas tant de faire disparaître les notes répétées dans la musique mais de forcer les les gens à rentrer dans un mode d'écoute plus analytique et plus exigeant.

 

 

 

Yes madam.

Ce ne fut pas qu'un insuccès : certains d'entre eux parvinrent bien à démêler des complexes harmoniques dans le flux des voitures, dans le bruit de la ville. Sans aller jusqu'à parler d'une action éducative (il s'agissait d'un outil de contrôle plus que le développement de l'esprit critique, par exemple), on ne niera pas que la qualité de la musique produite à l'époque a beaucoup progressé, et ce indéniablement grâce à ce décret.

Et finalement, les condamnés étaient le plus souvent des prisonniers de droit commun aussi, donc la société était débarrassée de ces affreux, abominables, dangereux, grotesques personnages.